Les tensions avec l'Iran pourraient-elles avoir des conséquences nucléaires ?
L. B. avec A. D.
Publié le lundi 06 janvier 2020
Nous avons posé la question à un spécialiste du nucléaire iranien, Pierre Goldschmidt, ancien directeur général adjoint de l’Agence internationale de l’énergie atomique.
Qu’a annoncé l’Iran exactement ?
« L’Iran a annoncé hier qu’il ne respecterait plus aucune des contraintes qui lui ont été imposées dans le cadre de l’accord de 2015 en ce qui concerne l’enrichissement de l’uranium. Ce qui veut dire qu’à partir de maintenant, l’Iran, se permet d’enrichir de l’uranium notamment, probablement dans une installation qui se trouve dans un tunnel, à 80 m de profondeur, près la ville sainte de Qom, dans les montagnes, à l’abri de toute frappe aérienne. Si l’Iran se met à enrichir de l’uranium au delà des 3.67% qui sont imposés ça peut poser un problème. Mais ce n’est pas en soi quelque chose de grave, ce n’est pas en soi quelque chose qui est contraire au traité de non-prolifération c’est simplement contraire à l’accord signé en 2015.«
Selon Pierre Goldschmidt, l’Iran pourrait enrichir jusqu’en dessous de 20%. Mais dit-il, « s’il avait déjà un stock d’uranium enrichi à 20%, il aurait accompli les 2/3 du travail qu’il faut pour produire de l’uranium à 90%, qui est l’enrichissement qu’il faut pour une arme nucléaire. C’est cela qui préoccupe la communauté internationale ».
Est-ce synonyme d’une arme nucléaire disponible à moyen ou long terme ?
« Le but de cet accord de 2015 est de l’empêcher de pouvoir produire une arme nucléaire en moins d’une année. La question c’est de savoir si l’Iran veut l’arme nucléaire. Je n’en suis pas convaincu », nous déclare l’ancien directeur adjoint. « Je pense que l’Iran veut être ce que j’appelle « un état du seuil », c’est-à-dire capable de produire l’armée nucléaire en quelques mois s’il devait le décider. Mais je ne crois pas que ce soit aujourd’hui l’intérêt de l’Iran d’avoir l’arme nucléaire. D’ailleurs, l’Iran continue et va continuer à soumettre toutes ses installations nucléaires aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique et donc ne viole pas, pour le moment, le traité de non-prolifération. Je ne pense pas que l’Iran, puisse ou souhaite utiliser l’arme nucléaire dans un conflit dans la région. D’abord, il n’a pas l’arme nucléaire. L’utilisation de cette arme signifierait en réaction, la destruction totale du pays. Donc pas contre ses voisins, mais il y a évidemment toujours le risque qu’un groupe terroriste puisse acquérir l’arme nucléaire et l’utiliser pour des raisons terroristes mais on n’en est pas là aujourd’hui. »
Usage civil ou militaire ?
« La technologie de l’enrichissement est la même pour du civil et du militaire. Si vous pouvez enrichir à 5%, technologiquement vous pouvez enrichir à 90%. Mais l’Iran n’a aucune utilisation d’uranium enrichi à plus de 20%. Aucune. S’il le faisait ce serait un message plus politique, surtout vis-à-vis des Européens, pour leur dire qu’eux non plus n’avaient pas respecté tout à fait leurs engagements sous pression américaine. Les bénéfices de l’accord, nous ne les voyons pas du point de vue économique donc nous montrons notre mauvaise humeur en faisant ce geste-là. » Les ministres européens des Affaires étrangères se réuniront d’ailleurs vendredi pour évoquer » l’aggravation des tensions au Moyen-Orient et les moyens à mettre en œuvre pour préserver l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien. »