L'arme nucléaire: facteur de stabilité ou d'instabilité? ou comment rendre notre monde plus sûr et plus stable?
Résumé
Il y a toujours eu deux positions: d’un côté ceux qui sont convaincus que l’arme nucléaire constitue un facteur de stabilité, et de l’autre ceux qui sont tout aussi convaincus du contraire. Cette divergence de vues a sans doute été rarement aussi prononcée qu’aujourd’hui.
L’analyse qui suit examine de façon critique les arguments des uns et des autres, pour déboucher sur des propositions constructives que les deux camps devraient pouvoir soutenir en vue de rendre le monde nucléaire plus sûr et plus stable.
S’il faut s’opposer à tout prix à la prolifération horizontale des armes nucléaires il faut également faire pression sur les cinq Etats dotés de l’arme nucléaire qui ont ratifié le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), et avant tout sur les Etats-Unis et la Russie, pour qu’ils remplissent effectivement leurs engagements de désarmement. A terme l’un ne va pas sans l’autre. Mais comment y arriver dans le contexte actuel de tension entre grandes puissances? La récente conclusion du « Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires » ne parait pas, loin s’en faut, de nature à rendre le monde nucléaire plus sûr et plus stable.
Que l’on soit pour ou contre les armes nucléaires, elles sont encore là pour longtemps. Il est donc impératif de faire en sorte que leur nombre diminue au cours du temps, que leur usage devienne hautement improbable et surtout qu’aucun pays supplémentaire n’en acquière.
Pour ce faire il faut entre autre, d’une part, promouvoir l’entrée en vigueur du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires (TICEN) et d’autre part dissuader davantage tout membre du TNP de s’en retirer comme l’a fait la Corée du Nord en 2003.
L’analyse qui suit propose des pistes pour y arriver.
Si un État se retire du TNP ses accords de vérification conclus avec l’AIEA deviennent automatiquement caducs ce qui lui permet, en toute légalité, d’utiliser à des fins militaires les matières et installations nucléaires qui étaient antérieurement soumises aux contrôles de l’AIEA. C’est ce qu’a fait la Corée du Nord et c’est là une des plus grandes faiblesses du régime de non-prolifération.
Pour corriger cet écueil, il faudrait qu’à l’avenir les installations nucléaires les plus sensibles, comme les usines d’enrichissement de l’uranium, qui sont un jour soumises aux contrôles de l’AIEA le restent de façon irréversible même si l’état concerné se retire du TNP. Cette règle doit s’appliquer à tous les états qu’ils soient ou non dotés de l’arme nucléaire.
Nuclear weapons: a factor of stability or instability?
or how to make our world safer and more stable?
Summary
There have always been those who are convinced that nuclear weapons are a factor of stability on the one hand, and those who are equally convinced of the opposite on the other. This divergence of views has probably rarely been as pronounced as it is today.
The following analysis critically examines the arguments of both sides, leading to constructive proposals that both should be able to support in order to make the nuclear world safer and more stable.
While we must oppose at all costs the horizontal proliferation of nuclear weapons, we must also put pressure on the five nuclear-weapon States that have ratified the Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapons (NPT), and above all on the United States and Russia, to ensure that they effectively fulfil their disarmament commitments. In the long run, one cannot go without the other. But how can this be achieved in the current context of tension between major powers? The recent conclusion of the « Nuclear Weapons Ban Treaty » seems far from making the nuclear world safer and more stable.
Whether one is for or against nuclear weapons, they are still there for a long time. It is therefore imperative to ensure that their numbers decrease over time, that their use becomes highly unlikely and, above all, that no additional countries acquire them.
This includes, on the one hand, promoting the entry into force of the Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty (CTBT) and, on the other hand, further discouraging any NPT member from withdrawing from the Treaty, as North Korea did in 2003.
The following analysis suggests ways to achieve this.
If a State withdraws from the NPT, its verification agreements with the IAEA automatically lapse, allowing it, in all legality, to use for military purposes nuclear materials and facilities that were previously subject to IAEA safeguards. This is what North Korea has done and it is one of the greatest weaknesses of the non-proliferation regime.
To correct this pitfall, it would be necessary that in the future the most sensitive nuclear facilities, such as uranium enrichment plants, which are once subject to IAEA safeguards remain irreversibly so even if the state concerned withdraws from the NPT. This rule must apply to all states, whether or not they have nuclear weapons.
I. Introduction
Si aujourd’hui un militaire devait demander de répondre en une seule phrase à la question de savoir si l’arme nucléaire est un facteur de stabilité ou d’instabilité, la réponse serait « les deux mon général ».
Nous allons voir pourquoi.
Il y a toujours eu deux positions: d’un côté ceux qui sont convaincus que l’arme nucléaire constitue un facteur de stabilité, et de l’autre ceux qui sont tout aussi convaincus du contraire. Cette divergence de vues a sans doute été rarement aussi prononcée qu’aujourd’hui.
L’analyse qui suit examine de façon critique les arguments des uns et des autres, et propose des solutions constructives que les deux camps devraient pouvoir soutenir en vue de rendre le monde nucléaire plus sûr et plus stable.
II. Plus il y aura de pays dotés de l’arme nucléaire moins il y aura de guerres dans le monde?
La thèse selon laquelle plus il y aura de pays dotés de l’arme nucléaire moins il y aura de guerres dans le monde, même si elle est peu défendue officiellement, mérite d’être mentionnée parce qu’il n’est pas exclu qu’elle reflète la pensée de certains dirigeants parmi les pays dotés de l’arme nucléaire.
Ainsi Sergei Karaganov, doyen de la School of World Economics and Foreign Affairs de l’Université d’État de Moscou écrit en avril 2010:
« To reject nuclear weapons and strive for their elimination is, no doubt, a moral aim, at least in the abstract. But it is feasible only if humanity changes. Apparently, the advocates of eliminating nuclear weapons believe that such change is possible. I do not. We might then eventually recognize that eliminating nuclear weapons is not just a myth, but a harmful myth, and that nuclear weapons are a useful asset that has saved, and may continue to save, humanity from itself. »
Kenneth Waltz, un politologue américain (1924-2013), auteur important dans le domaine de la théorie des relations internationales, va dans le même sens. Une de ses thèses centrales est que les systèmes bipolaires sont plus stables que les systèmes multipolaires.
Ainsi, il écrit en 1981 que « The presence of nuclear weapons makes wars less likely » dans une étude intitulée The Spread of Nuclear Weapons: More May Be Better.
En 2012, il publiait un article dans Foreign Affairs intitulé Why Iran Schould Get the Bomb. En 2013, il persiste en affirmant que
« States should take comfort from the fact that history has shown that where nuclear capabilities emerge, so, too, does stability. When it comes to nuclear weapons, now as ever, more may be better. »
Cette approche est dangereuse. Il faut tout d’abord rappeler que pendant la Guerre froide, à plusieurs reprises, il s’en est fallu de peu qu’une guerre nucléaire ne soit déclenchée, notamment lors de la crise des missiles à Cuba. L’Union soviétique et les États-Unis, conscients de ce risque, ont établi un téléphone rouge entre le Kremlin et la Maison-Blanche en plus d’autres canaux de communication destinés à éviter une erreur d’évaluation.
De même, il existe aujourd’hui de solides moyens de communication entre l’Inde et le Pakistan. Ce n’est pas le cas jusqu’ici entre la Corée du Nord et les États-Unis ou le Japon par exemple, augmentant de ce fait les risques d’une mauvaise évaluation d’une éventuelle menace, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques.
D’autre part, admettre, comme le suggère Kenneth Waltz, que l’Iran puisse se retirer du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et acquérir l’arme nucléaire en toute impunité serait adopter la politique du pire et serait la porte ouverte à ce que d’autres pays membres du TNP suivent le même chemin, en premier lieu l’Arabie Saoudite. Ce serait la fin du TNP et les risques pour la survie de l’humanité ne feraient qu’augmenter.
En fait Kenneth Waltz, comme les néoconservateurs américains et le président Trump aujourd’hui, ne croit pas dans l’efficacité des organisations internationales, mais exclusivement dans celle des accords bilatéraux. Le multilatéralisme pouvait paraître inutile du temps de la Guerre froide qui est vraisemblablement restée froide parce les Etats-Unis et l’URSS disposaient tous deux de l’arme nucléaire, et qu’une attaque nucléaire de l’un aurait entrainé une destruction majeure des deux adversaires. C’est la fameuse doctrine de la « Mutual Assured Destruction ». Il s’agit d’une forme extrême de dissuasion surtout depuis que le développement de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) donne à chaque camp une capacité de seconde frappe en cas d’attaque nucléaire de l’autre camp.
Ainsi, et bien qu’on ne puisse le prouver, il est probable que l’équilibre de la terreur entre les Etats-Unis et le bloc soviétique ait contribué à ce que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe a connu la plus longue période de son histoire sans guerres interétatiques.
De même, le fait que le conflit du Cachemire entre l’Inde et le Pakistan n’ait pas dégénéré dans une guerre ouverte entre les deux pays, est sans doute due à ce même équilibre de la terreur nucléaire.
Mais ce monde bipolaire n’existe plus depuis la montée en puissance économique et militaire de la Chine, ce qui rend les équilibres géostratégiques plus précaires et plus difficiles à gérer, d’autant plus qu’ après une accalmie relative de quelques années la course aux armements entre grandes puissance a repris.
Ainsi le Président Poutine a annoncé le 1er mars 2018 la mise en production du missile hypersonique planeur Avangard capable de porter des charges conventionnelles ou nucléaires. Ce missile est capable d’atteindre une vitesse de 20 Mach et serait « absolutely invulnerable for any missile defence system ».
De leur côté les États-Unis ont soumis, fin avril 2018, un « working paper« au Comité préparatoire de la Conférence d’examen du TNP de 2020 où il est écrit (§7):
« Nuclear deterrence, including extended nuclear deterrence, continues to play central role in ensuring the global stability and security from which all states benefit. »
Cette dissuasion nucléaire est-elle encore efficace de nos jours et l’arme nucléaire n’est-elle pas devenue aujourd’hui, dans une large mesure, ce que la ligne Maginot était en 1940, c’est-à-dire une illusion de sécurité et de stabilité ?
On peut le penser vu qu’en pratique les armes nucléaires sont dans une très large mesure devenues inutilisables par un État, tant pour des raisons humanitaires qu’à cause de l’ampleur des représailles qui résulteraient inévitablement de son utilisation. De plus, depuis 1945 la possession de l’arme nucléaire n’a permis à aucun État de gagner un conflit ni empêché la France et les États-Unis de perdre la guerre du Vietnam, ou la Russie à se retirer d’Afghanistan.
Si les armes nucléaires sont largement inutilisables par un État elles pourraient par contre être utilisées par un groupe terroriste si par malheur de telles armes devaient tomber entre ses mains. Plus il y aura de pays dotés de l’arme nucléaire plus grand sera le risque qu’elles tombent un jour entre les mains d’un groupe terroriste. Le Pakistan a pris cette question très au sérieux, et avec l’aide des États-Unis, a mis en place certaines mesures indispensables à la sécurisation de son arsenal nucléaire.
S’il faut donc s’opposer à tout prix à la prolifération horizontale des armes nucléaires il faut également faire pression sur les cinq Etats dotés de l’arme nucléaire qui ont ratifié le TNP pour qu’ils remplissent effectivement leurs engagements de désarmement. L’un ne va pas sans l’autre. Mais comment y arriver? La ratification éventuelle du « traité d’interdiction des armes nucléaires » (TIAN) est-elle la bonne réponse?
III. Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires rend-il le monde plus sûr et plus stable?
En janvier 2007, quatre poids lourds de la politique américaine, Henry Kissinger, Sam Nunn, William Perry et George Schultz publiaient dans le Wall Street Journal, une chronique marquante présentant leur vision d’un monde sans armes nucléaires, « the nuclear zero » dans lequel ils écrivaient :
« We endorse setting the goal of a world free of nuclear weapons and working energetically on the actions required to achieve that goal. »
La même année 2007 a vu le lancement du mouvement the International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN). C’est une initiative mondiale qui vise à mobiliser les citoyens de tous les pays pour persuader et faire pression sur leurs gouvernements de lancer et de soutenir des négociations en faveur d’un traité d’interdiction des armes nucléaires comme il existe un traité d’interdiction des armes chimiques et biologiques.
Le 9 novembre 2012, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki–moon a appelé toutes les nations à soutenir le mouvement ICAN et à négocier un traité rendant illégales les armes nucléaires. Le 7 juillet 2017, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) soutenu tout particulièrement par l’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande, la Suède et le Brésil. Ce Traité a été voté par 122 États de l’ONU sur 192 (soit les 2/3). Il entrera en vigueur lorsque 50 États l’auront ratifié. Actuellement 70 pays ont signé le traité et 23 l’ont ratifié. En Europe le Liechtenstein l’a signé et l’Autriche et le Vatican l’ont ratifié.
Le 6 octobre 2017 l’ICAN s’est vu décerner le Prix Nobel de la Paix
« For its work to draw attention to the catastrophic humanitarian consequences of any use of nuclear weapons and for its ground-breaking efforts to achieve a treaty-based prohibition of such weapons. »
Comme l’explique George Perkovich, le directeur du programme sur la non-prolifération nucléaire à Carnegie Endowment for International Peace (CEIP) à Washington :
« The effort to negotiate a prohibition treaty represents a political-legal reaction to the nuclear-weapon states’ failure to fulfill [their] political commitments to genuinely seek nuclear disarmament […] If the nuclear-weapon states persist in denying or obfuscating a legal obligation to pursue disarmament, the [non-nuclear-weapon states] can politically undermine the enhancement of legal obligations to make proliferation more difficult. »
et il ajoute :
« However laudable the intentions behind the prohibition movement, the treaty it appears likely to produce will be inadequate to accomplish important objectives and may even undermine the prospects of nuclear disarmament. »
On peut remarquer qu’aucun des pays disposant de l’arme nucléaire, ni aucun pays membre de l’OTAN (l’Autriche, le Liechtenstein et le Vatican n’en font pas partie) n’a signé le TIAN, ni les pays bénéficiant du parapluie nucléaire américain comme la Corée du Sud, le Japon et l’Australie.
De leur côté, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie et le Tadjikistan se sont regroupés au sein de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), fondée le 7 octobre 2002. Son Secrétaire général a indiqué le 25 février 2010 que « Moscow’s nuclear umbrella has been extended to its CSTO allies ». Il est intéressant de souligner qu’aucun de ces États n’a signé le TIAN, à l’exception du Kazakhstan pour qui c’est chose faite depuis mars 2018 bien que la ratification se fasse encore attendre.
En accord avec George Perkovich on peut estimer que le TIAN risque non seulement de ne pas favoriser le désarmement nucléaire, mais aussi de compromettre le renforcement du régime de non-prolifération de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique — l’AIEA.
Tom Sauer, Professeur associé à l’Universiteit Antwerpen, qui est un fervent partisan du TIAN, cosignait le 20 mars 2019, un article intitulé « The Nuclear Ban Treaty: A Sign of Global Impatience » dans lequel il admet que :
« The ban treaty will forbid the development, production, testing, acquisition, stockpiling, transfer, possession and stationing – as well as the use and threat of use – of nuclear weapons. Consequently, the decades-old doctrine of nuclear deterrence will become illegal for the signatory states […] At the very least, the “taboo” against the use – now extended to the possession – of nuclear weapons will be strengthened.
Of course, the nuclear-weapons states may well persist in their rejection of the treaty, and proceed with their plans to retain and modernise their nuclear weapons at a cost of hundreds of billions of dollars. Such a stance would, however, guarantee a schism between non-nuclear-weapons and nuclear-weapons states, thus threatening the foundations of the nuclear non-proliferation regime established by the NPT . »
Ce ressentiment croissant présente le risque d’un fiasco complet de la prochaine Conférence d’Examen du TNP du mois de mai 2020.
Comme l’écrit encore Tom Sauer :
« The failure of two such conferences in a row would further erode the authority of what will then be a 50-year-old NPT, and could well lead some of its non-nuclear signatories to abandon it in favour of the more comprehensive provisions of the ban treaty. »
Il serait toutefois faux de croire qu’en ce qui concerne la non-prolifération horizontale, le TIAN constitue une norme plus solide que celle appliquée par l’AIEA dans le cadre du TNP. En fait c’est juste l’inverse. Le TIAN n’exige de ses membres que la conclusion des Accords de Garanties Généralisés mais pas du Protocol Additionnel (PA) pourtant indispensable pour que l’AIEA puisse conclure qu’il n’y a pas d’activités et de matières nucléaires non déclarées dans le pays concerné.
Il faut noter à ce propos que le président brésilien Michel Temer a été le premier à signer le texte du TIAN alors que le Brésil, qui possède une usine d’enrichissement de l’uranium, refuse de signer un Protocol Additionnel avec l’AIEA et a fait en sorte que le TIAN ne fasse aucune mention de ce Protocol Additionnel. C’est aussi le Brésil qui s’est opposé à ce qu’il fasse partie des conditions d’exportation du Nuclear Suppliers Group.
Si le TIAN n’est pas la solution pour faire pression sur les grandes puissances pour qu’elles remplissent leurs obligations de désarmement nucléaire, que faire pour enrayer la nouvelle course aux armements qui se dessine sous nos yeux?
Il y a, à cet égard, tout lieu de s’inquiéter.
Ainsi le 4 décembre 2018, à l’OTAN, le Secrétaire d’Etat Michael Pompeo, a déclaré « the United States today declares it has found Russia in material breach of the [INF] treaty and will suspend our obligations as a remedy effective in 60 days unless Russia returns to full and verifiable compliance ».
Ce Traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty) sur les forces nucléaires intermédiaires signé entre les USA (Ronald Reagan) et l’URSS (Gorbatchov) en 1987 oblige les deux États à détruire tous leurs missiles balistiques et de croisière, lancés à partir du sol ayant une portée comprise entre 500 et 5 500 kilomètres .
Cet accord prévoit un système d’inspections réciproques dans les deux pays ainsi que dans des bases bien identifiées en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne de l’Ouest et en Tchécoslovaquie.
Grâce à l’ Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty (traité INF), les deux pays ont détruit un total de 2 692 missiles avant juin 1991.
Du fait des accusations de violations du traité par la Russie, les Etats-Unis annoncaient le 1er février 2019 qu’ils suspendaient leurs obligations dans le cadre du traité INF et notifiaient Moscou qu’ils se retireront du traité dans 6 mois si « la Russie ne se remet pas entièrement en conformité, de manière vérifiable, avec le traité ».
Le lendemain la Russie annonçait qu’elle suspendait également sa participation au traité INF.
Le 25 févier 2019, le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres faisait un vibrant appel à la raison :
The demise of the Intermediate-Range Nuclear Forces (INF) Treaty, should it be allowed to happen, would make the world a more insecure and unstable place. That insecurity and instability will be keenly felt here in Europe. And we simply cannot afford to return to the unrestrained nuclear competition of the darkest days of the Cold War.
I call on the parties to the INF Treaty to use the time remaining to engage in sincere dialogue on the various issues that have been raised. It is very important that this treaty is preserved.
Aucun accord n’ayant été trouvé, le traité INF a pris fin le 2 août 2019.
Dans une analyse des conséquences de la fin du Traité INF, le Col. (Ret.) Didier Audenaert considère notamment que :
- Today NATO’s ballistic missile defence is not capable of defending European territory against Russian missiles.
- Undoubtedly, the end of the INF Treaty will further strain the bilateral relationship between Moscow and Washington, as well as risking to erode other nuclear negotiations and treaties.
- A world without nuclear weapons today is out of reach. In the current security environment nuclear capabilities remain central to European security.
Il faut en effet savoir qu’au début de cette année, il est apparu que
« La Russie confirme avoir déployé des missiles capables de transporter des charges nucléaires dans son enclave de Kaliningrad, sur la mer Baltique entre la Pologne et la Lituanie. Les États baltes s’inquiètent. Pour Washington, ce déploiement est “un facteur de déstabilisation ».
Ainsi un expert d’un think tank américain rencontré début octobre 2018 à Washington, imaginait le scénario suivant (avant les récents évènements dans le détroit de Kertch et l’installation de missiles russes en Crimée) : Poutine, dont la popularité est en forte chute en Russie parce que l’économie du pays ne fait qu’empirer pourrait, pour détourner l’attention de la population, être tenté de faire un coup d’éclat en envahissant les Pays baltes comme il l’a fait pour la Crimée pratiquement instantanément et quasi sans effusion de sang. Quelle serait la réaction de l’OTAN qui n’est pas en position de force dans cette région ? Si une contre-offensive de l’OTAN devenait menaçante, est-il impensable, disait cet expert, que la Russie, pour montrer sa détermination, utilise une arme nucléaire de très faible puissance pour bombarder par exemple un porte-avions américain ?
C’est une préoccupation que l’on retrouve dans la Nuclear Posture Review de février 2018 où il est écrit :
Because a high-yield, long-range U.S. response to Russia’s first, limited use of a low-yield nuclear weapon against a military target is not credible, the Russians believe we are not likely to risk a global thermonuclear war in response to a ‘tactical’ nuclear attack by them.
Correcting this mistaken Russian perception is a strategic imperative.
Expanding flexible U.S. nuclear options now, to include low-yield options, is important for the preservation of credible deterrence against regional aggression.
It will raise the nuclear threshold […], making nuclear employment less likely.
C’est loin d’être sûr. N’est-ce pas à cause de tels scénarios que la Russie, les États-Unis et la Chine ne respectent pas le TNP et leur engagement de désarmement nucléaire ?
Imaginer que l’arme nucléaire puisse un jour apporter un bénéfice à l’état qui l’utiliserait le premier est pure folie. Hélas, comme le disait Albert Einstein : « Seules deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine, en ce qui concerne l’univers, je n’en ai pas acquis la certitude absolue. »
Il faut bien reconnaître que le traité INF, qui datait d’un monde bipolaire, n’engageait que les États-Unis et la Russie et non la Chine dont le développement de missiles de toutes catégories inquiète ses adversaires potentiels. On pourrait donc penser que le véritable objectif de Trump, qui estime que l’économie déplorable de la Russie ne lui permet pas une nouvelle course aux armements, est de négocier un nouveau traité de type INF incluant la Chine, ce qui serait aussi dans l’intérêt de la Russie. Pour l’heure la Chine n’est pas intéressée, considérant qu’il appartient d’abord aux Etats-Unis et à la Russie de diminuer leurs arsenaux nucléaires au niveau de ceux de la Chine.
Une autre échéance inquiétante dans le climat de tension actuel entre les États-Unis et la Russie est celle du New Strategic Arms Reduction Treaty (New START) entré en vigueur le 5 février 2011 pour une durée de dix ans.
Ce traité limite à 700 le nombre de lanceurs nucléaires stratégiques déployés et à 1 550 le nombre de têtes nucléaires sur ces lanceurs. Il établit aussi un nouveau système d’inspection et de vérification du respect des clauses de l’accord. Cet important traité va expirer en février 2021 si d’ici là les présidents Trump et Poutine ne s’accordent pas pour le prolonger de 5 ans comme ce traité en prévoit la possibilité.
Le 25 févier 2019, le Secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres déclarait:
I also call on the United States and the Russian Federation to extend the so-called “New START” Treaty before it expires in 2021.
This Treaty is the only international legal instrument limiting the size of the world’s two largest nuclear arsenals, and its inspection provisions represent an important confidence-building set of measures that benefit the entire world.
I urge Russia and the United States to use the time provided by an extension to the treaty to consider further reductions in their strategic nuclear arsenals.
I dream of the day when these bilateral arrangements become multilateral.
Ces exhortations resteront vraisemblablement lettre morte. Il en résultera une exaspération croissante de nombreux états non-alignés. Pour obliger les Etats dotés de l’arme nucléaire à respecter leurs engagements de désarmement, que se passerait-il si ces pays non-alignés devaient un jour menacer de se retirer en bloc du TNP?
Pour ne pas en arriver à une telle extrémité il est nécessaire et urgent d’aller au-delà des considérations théoriques ou des constatations de ce qui ne va pas, et de proposer des solutions concrètes et réalistes.
III. Comment rendre le monde plus sûr et plus stable?
Que l’on soit pour ou contre, les armes nucléaires sont encore là pour longtemps. Il est donc crucial de faire en sorte que leur nombre diminue au cours du temps, que leur usage devienne hautement improbable et surtout qu’aucun pays supplémentaire n’en acquière.
Comment faire?
C’est là que la Belgique et l’Allemagne qui depuis janvier 2019 siègent au Conseil de Sécurité de l’ONU, et l’Union Européenne qui si souvent manque de consensus sur les actions de politique internationale à mener, ont un rôle à jouer.
Afin de réduire les tensions inhérentes à la présence des armes nucléaires, il faut, d’une part, promouvoir l’entrée en vigueur du Traité d’Interdiction complète des essais Nucléaires (TICEN) et d’autre part dissuader davantage tout membre du TNP de s’en retirer comme l’a fait la Corée du Nord en 2003.
3.1 Promouvoir l’entrée en vigueur du TICEN
Le TICEN, est ouvert à signature depuis 1996. Il a été signé par 183 pays et ratifié par 159 d’entre eux. Pour que ce Traité entre en vigueur il doit être ratifié par 44 pays nommément désignés dans une annexe. À ce jour 8 de ces 44 États doivent encore le ratifier. Outre les 4 pays qui n’ont pas ratifié le TNP – Corée du Nord, Inde, Israël et Pakistan – il s’agit de l’Égypte, de l’Iran, de la Chine et des Etats-Unis.
Le 24 septembre 2009, le Conseil de Sécurité, dont font partie la Chine et les Etats-Unis, avait pourtant adopté la résolution 1887, qui
« Invite tous les États à s’abstenir de procéder à des essais nucléaires et à signer et ratifier le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires afin qu’il entre rapidement en vigueur. »
En 2012, le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki-Moon déclarait à juste titre :
« There is no good reason to avoid signing or ratifying this Treaty. Any country opposed to signing or ratifying it is simply failing to meet its responsibilities as a member of the international community. »
Alors que trois puissances nucléaires – la Russie, le Royaume Uni et la France – ont ratifié le TICEN, il est impératif et urgent que les États-Unis ratifient enfin ce traité qu’ils ont signé en 1996 du temps du Président Clinton.
Malheureusement, la Nuclear Posture Review publiée en février 2018 stipule que :
« the United States will not seek ratification of the Comprehensive Nuclear Test Ban Treaty, […]. The United States will not resume nuclear explosive testing unless necessary to ensure the safety and effectiveness of the U.S. nuclear arsenal . »
Comment dès lors faire pression sur les Etats-Unis pour qu’ils ratifient enfin le TICEN? Comme expliqué ci-dessus il est peu probable que l’éventuelle entrée en vigueur du Nuclear Ban Treaty ait le moindre impact favorable à cet égard.
Une façon de procéder serait, avec l’aide de la Russie, de convaincre la Chine et la Corée du Nord de ratifier le TICEN en précisant que cette ratification prendra effet automatiquement le jour où les Etats-Unis ratifieront ce traité.
Par ailleurs, plutôt que de promouvoir de façon non seulement irréaliste mais contreproductive dans l’état actuel des choses une Zone Exempte d’Armes Nucléaire au Moyen Orient, la communauté internationale et surtout l’Union Européenne, devraient en premier lieu se focaliser sur la création d’une Zone Exempte de Tests Nucléaires au Moyen Orient, ce qui peut se faire sans attendre la reconnaissance de l’existence d’Israël par l’Iran et l’Arabie Saoudite, ni la signature d’un traité de paix entre la Syrie et Israël. Il suffit pour cela qu’Israël, l’Iran, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et la Syrie ratifient de façon coordonnée le TICEN.
En effet, en dehors d’eux, tous les états importants de la région ont déjà ratifié le TICEN, en ce compris la Turquie et l’Irak, ainsi que tous les autres membres de la Ligue Arabe (à l’exception, peu importante et espérons-le temporaire, de la Somalie et du Yemen).
On pourrait suggérer à tous ces pays de faire valoir que leur ratification du TICEN par leurs parlements respectifs prendra effet automatiquement le jour où les Etats-Unis ratifieront le TICEN (comme suggéré dans le cas de la Corée du Nord). Ce serait une façon de convaincre les iraniens qu’ils le font sur base d’un donnant-donnant avec « le grand Satan » américain et le « petit Satan » israélien.
Quant à l’Union Européenne (UE), ses 28 États membres ont ratifié le TICEN il y a plus de 10 ans. L’UE est dès lors en bonne position pour utiliser en toute discrétion ses capacités diplomatiques afin de promouvoir une zone exempte de tests nucléaires au Moyen Orient. Elle devrait s’y atteler sans tarder, quelle que soit l’instabilité de la situation actuelle dans la région. Tout le monde y gagnerait.
Dans l’édition du journal Le Soir du 29 octobre 2018 on pouvait se réjouir de lire qu’en tant que membre du Conseil de Sécurité en 2019, parmi les dossiers que la Belgique veut faire avancer figure le TICEN. Cela nécessitera plus que des discours, mais une vraie stratégie diplomatique comme celle évoquée ci-dessus.
3.2 Décourager tout retrait du TNP
Le précédent de la Corée du Nord
La Corée du Nord a ratifié le TNP en 1985, mais n’a conclu un Accord de Garanties Généralisées (AGG) avec l’AIEA qu’en 1992.
Peu de temps après, en avril 1993, le Conseil des Gouverneurs de l’AIEA déclare que la Corée du Nord a violé ses engagements et réfère le cas au Conseil de Sécurité de l’ONU, suite à quoi la situation s’envenime et la Coré du Nord menace de se retirer du TNP.
Pour calmer le jeu, en octobre 1994, les États-Unis concluent avec la Corée du Nord ce qu’on appelle l’Agreed Framework. Au titre de cet accord bilatéral, la Corée du Nord s’engage à geler, sous contrôle de l’AIEA, l’exploitation d’un réacteur nucléaire gaz-graphite et surtout de son usine de retraitement de combustibles permettant de récupérer le plutonium de qualité militaire contenu dans les assemblages irradiés.
En échange les États-Unis s’engagent à construire deux réacteurs nucléaires PWR de 1000 MWe chacun censés entrer en service en 2003, et en attendant s’engagent à livrer 3,5 millions de barils de pétrole par an.
On peut se demander si les Américains n’ont pas conclu cet accord en pensant que le régime « stalinien » de la Corée du Nord s’effondrerait avant 2003, comme venait de le faire l’Union soviétique. Une première leçon qu’il faut retenir de la crise nord-coréenne c’est qu’il ne faut jamais conclure un accord en supposant que le régime du pays concerné ne survivra pas.
Les choses se gâtent lorsque le Président George W. Bush le 29 janvier 2002, dans son discours sur l’état de l’Union, désigne la Corée du Nord, l’Irak et l’Iran, comme faisant partie de « l’axe du mal. »
Peu après, en octobre 2002, les États-Unis découvrent que la Corée du Nord possède une installation d’enrichissement de l’uranium non déclarée, et décident en conséquence de suspendre les livraisons de pétrole prévues au titre de l’Agreed Framework de 1994.
En réponse la Corée du Nord notifie son retrait du TNP en janvier 2003.
Ce retrait du TNP est une première mondiale et tout doit être fait pour qu’il n’y en ait pas d’autres, ce qui risquerait de sonner le glas de la non-prolifération des armes nucléaires dans le monde.
Ce qui est regrettable, c’est qu’après le renvoi de la Corée du Nord devant le Conseil de sécurité en 1993, celui-ci, pendant une période de 13 ans, n’a adopté aucune résolution condamnant la Corée u Nord, pas même au cours des trois années et demie qui suivirent la décision de la Corée du Nord de se retirer du TNP.
À cause de la menace de voir la Chine exercer son droit de véto à l’encontre de toute résolution du Conseil de Sécurité imposant des sanctions économiques à la Corée du Nord, il a fallu attendre que celle-ci procède au test d’un engin nucléaire en octobre 2006, pour que le Conseil de Sécurité adopte enfin une résolution, juridiquement contraignante, à son encontre. Mais cette réponse est arrivée bien trop tard, et les sanctions adoptées furent bien trop faibles pour dissuader la Corée du Nord d’aller de l’avant. Depuis lors elle a testé l’arme nucléaire en 2009, en 2013, deux fois en 2016, et dernièrement en septembre 2017. Elle a aussi procédé à d’innombrables tests de missiles balistiques toujours plus performants. Cela montre, et c’est là une deuxième leçon, que si un état menace de se retirer du TNP il faut agir vite et vigoureusement.
Pour dissuader l’Iran et tout autre pays de suivre un jour l’exemple nord-coréen, un certain nombre de mesures préventives doivent être prises, et tout d’abord l’adoption par le Conseil de Sécurité d’ une résolution générique et juridiquement contraignante stipulant que :
- si un État se retire du TNP, ce retrait sera considéré comme une menace pour la paix et la sécurité internationale, et que le Conseil de Sécurité se réunira sans délai pour examiner les mesures juridiquement contraignantes à prendre à l’encontre de cet État ;
- puisque cet État représente une menace pour la paix et la sécurité internationale, tous les autres membres des Nations Unies suspendront toute coopération militaire avec cet État.
Une proposition aussi simple et logique constituerait un bon cheval de bataille pour l’Union Européenne qui brille souvent par son absence en matière de politique internationale.
Il en faut cependant davantage pour rendre un retrait du TNP plus dissuasif.
Rendre les vérifications de l’AIEA irréversibles
Il faut savoir que si un État se retire du TNP ses Accords de Garanties Généralisées conclus avec l’AIEA deviennent automatiquement caducs et que de ce fait cet État peut en toute légalité utiliser à des fins militaires les matières et installations nucléaires qui étaient antérieurement soumises aux contrôles de l’AIEA. C’est ce qu’a fait la Corée du Nord et c’est là une des plus grandes faiblesses du régime de non-prolifération.
Cela veut dire, par exemple, que si un jour l’Iran décidait de se retirer du TNP comme il a menacé de le faire à plusieurs reprises, il pourrait légalement utiliser ses installations d’enrichissement de l’uranium pour fabriquer les matières fissiles destinées à des armes nucléaires.
Pour corriger cet écueil, il faudrait qu’à l’avenir toutes les installations nucléaires qui sont un jour soumises aux contrôles (« safeguards ») de l’AIEA le restent même si l’état concerné se retire du TNP. C’est particulièrement nécessaire en ce qui concerne les installations d’enrichissement de l’uranium et de retraitement des combustibles usés. Il suffit pour cela que chaque état soumette ses installations et matières nucléaires déclarées à un accord de garanties irréversibles avec l’AIEA. Ce type d’accord est connu sous la dénomination quelque peu barbare de « INFCIRC/66-type safeguards agreement ». Il ne deviendrait opérationnel que si les Accords de Garanties Généralisées deviennent caducs. En temps normal cette façon de faire ne coûterait donc rien à l’AIEA ni au pays concerné, si ce n’est quelques formalités administratives au départ.
Ce principe devrait être entériné par une résolution du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA et par une résolution du Conseil de Sécurité. Ces résolutions seraient l’une et l’autre non contraignantes, mais le Nuclear Suppliers Group, dont la Belgique est membre, devrait inclure ce principe dans ses conditions d’exportation, surtout en ce qui concerne les installations sensibles du cycle du combustible nucléaire.
Pour que cette évolution ait une chance de se réaliser, il faut donner l’exemple. Les peuples comme les états n’acceptent plus que d’autres leur disent « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. » C’est pourquoi les Pays-Bas et l’Allemagne devraient placer les importantes usines d’enrichissement d’URENCO situées sur leurs territoires sous « safeguards » irréversibles de l’AIEA. Sinon comment convaincre des pays comme l’Iran ou le Brésil de le faire ? Il serait souhaitable que l’UE adopte une directive exigeant que toutes les usines civiles d’enrichissement de l’uranium de l’Union (donc aussi celles situées en France et en Angleterre) soient placées sous « safeguards » irréversibles de l’AIEA.
Ce ne sera pas facile à obtenir, mais comme le disait le Cardinal de Richelieu ‘la politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire’.
Il est d’autant plus important d’adopter maintenant ces mesures dissuasives, qu’il ne fait aucun doute que tôt ou tard un plus grand nombre d’États seront en mesure de maîtriser toutes les technologies nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires. Sans nécessairement passer à la phase de production de telles armes, ils seront devenus des ‘états du seuil’, c’est-à-dire des états capables de construire plusieurs armes nucléaires en quelques mois, sans que personne ne puisse les en empêcher, et disposant des moyens de les transporter.
IV. Conclusion
Un des plus grands obstacles à l’adoption de mesures concrètes de nature à renforcer le régime de non-prolifération nucléaire est sans doute dû à la course aux armements en cours entre la Russie et les Etats-Unis et à leur antagonisme politique et stratégique. Ce n’est pas une raison pour ne pas soutenir des propositions aussi modestes que celles évoquées ici (et qui sont de l’intérêt des deux parties) alors que pendant la Guerre froide ces deux superpuissances ont pu conclure de nombreux traités de désarmement autrement plus ambitieux.
Comme souligné dans le cadre d’un exposé fait lors d’une conférence de l’OTAN en novembre 2011 sur les ‘New Challenges to Global Security’ :
The media has a tendency to highlight any possible difference of view between NATO and Russia and to recall the old Cold War saying that, ‘What is bad for Washington is good for Moscow.’ This framing is both untrue and counterproductive. In today’s world and even more so in the future, Russia and NATO members will have ever more reasons to cooperate on economic and security issues […]. To strengthen the nuclear non-proliferation regime, Russia and NATO should cooperate to dissuade states from becoming nuclear ‘threshold states’; [and] deter NPT withdrawal.
Bien sûr, c’était plus de deux ans avant l’annexion de la Crimée par la Russie et son intervention au Donbass ! Mais même si le contexte politique est aujourd’hui particulièrement difficile, il n’en reste pas moins qu’au moins dans le domaine de la non-prolifération nucléaire les intérêts de l’UE, des États-Unis et de la Russie sont largement convergents.
Qu’ils soient pour ou contre la complète élimination des armes nucléaires dans le monde, et qu’ils soient pour ou contre la production d’électricité par des centrales nucléaires, tous les états souhaitent éviter une prolifération des états dotés de l’arme nucléaire.
Les propositions concrètes et réalistes faites ici pour diminuer ce risque ont déjà été formulée antérieurement. Jusqu’ici elles ne semblent pas avoir été entendues. Même si l’on croit en l’effet papillon, il faudra bien plus qu’un individu sans poids politique pour faire bouger les choses. Espérons que ceux qui ont aujourd’hui ce pouvoir, s’ils sont convaincus des mérites de ces propositions, prendront à cœur de les faire aboutir et ainsi donner tort à Paul Valéry qui écrivait dans Mon Faust que ‘tous les politiques ont lu l’Histoire ; mais on dirait qu’ils ne l’ont lue que pour y puiser l’art de reconstituer les catastrophes.’
Pierre Goldschmidt
Liste des acronymes
AGG Accords de Garanties Généralisées
AIEA Agence Internationale de l’Energie Atomique
ICAN International Campaign to Abolish Nuclear Weapons
INF Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaires; en anglais Intermediate– Range Nuclear Forces Treaty (INF Treaty)
ONU Organisation des Nations Unies
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord
OTSC Organisation du Traité de Sécurité Collective
PA Protocol Additionnel (aux AGG)
SNLE Sous-marin nucléaire lanceur d’engins
START Strategic Arms Reduction Treaty ( Traité de réduction des armes stratégiques)
TIAN Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires
TICEN Traité d’interdiction complète des essais nucléaires
TNP Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires
UE Union Européenne
L’auteur
Pierre Goldschmidt est ingénieur électromécanicien, Docteur en Sciences Appliquées de l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et Master of Science de l’Université de Californie à Berkeley.
Pendant 12 ans il a été Directeur Général de Synatom, la société chargée de l’approvisionnement en combustible des sept centrales nucléaires belges qui couvrent 55% des besoins en électricité du pays.
De mai 1999 à juin 2005 il occupe à Vienne les fonctions de Directeur Général Adjoint de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, responsable du Département des Garanties chargé de vérifier l’usage exclusivement pacifique de l’énergie nucléaire dans le monde.
De juillet 2005 à décembre 2017 Pierre Goldschmidt a été Senior Associate de la Carnegie Endowment for International Pea ce, un « think tank »situé à Washington dont le but est de promouvoir la coopération entre les nations.
Il a présidé de nombreuses organisations internationales dont l’Institut de l’Uranium à Londres, l’Organisation des Producteurs d’Energie Nucléaire à Paris, et le Comité Consultatif de l’Agence d’Approvisionnement d’Euratom.